Nabeoko en Centrafrique : petit poisson sur la vague Fintech

Nabeoko en Centrafrique : petit poisson sur la vague Fintech

Nabeoko en Centrafrique : petit poisson sur la vague Fintech

La vague Fintech touche la République centrafricaine avec l’initiative de digitalisation du paiement des fonctionnaires. Si la plateforme de e-commerce Nabeko y apparaît comme un petit poisson, elle peut contribuer au développement économique du pays.

En septembre 2017, introduite par l’ancien Premier ministre Élie Doté, une délégation de WinstantPay rencontrait le Président de la République centrafricaine, Monsieur Faustin Archange Touadéra. L’objectif de l’audience était de présenter les intérêts de la finance digitale, un outil d’un fort potentiel pour le développement intégral et durable du pays : wallet en monnaie locale pour l’inclusion financière des populations non bancarisées, wallet en toutes monnaies pour les transactions internationales, plateforme de e-commerce pour l’exportation des produits et services des PME, etc.

Le 1erjuillet 2020, WinstantPay-Leap2Shop et Nabeoko signaient un Joint-Venture pour créer une plateforme africaine de e-commerce permettant aux producteurs locaux, TPE et PME de vendre des produits et services sur les marchés transfrontaliers, régionaux et internationaux en évitant le casse-tête des transactions financières.

En trois ans, si l’implantation des technologies financières a progressé en Centrafrique leur potentiel est loin d’être exploité de façon optimale. La plateforme de e-commerce Nabeoko apporte sa contribution digitale au pays en tentant de répondre à un besoin majeur de l’économie centrafricaine : passer de la production de biens non échangeables à celle de biens exportables. Quelque éléments d’analyse.

Aujourd’hui, la Centrafrique est encore loin d’être un paradis des Fintech. Comme souvent, la digitalisation a commencé par toucher la finance. En 2016, Forbes Afrique[12]pointait le mobile banking parmi les six secteurs porteurs de croissance en République centrafricaine[13]. Mpesa et le Kenya, pointés comme modèles, devaient être reproduits en Centrafrique. Quatre compagnies de téléphonie s’y disputent actuellement le marché : Azur, Moov, Telecelet Orange. Depuis son implantation dans le pays en 2007, la multinationale française, n’a jamais cessé d’investir pour gagner des parts de marché, grâce, selon la communication du groupe Orange, à un meilleur réseau de communication que ses concurrents.

En 2019, l’opérateur s’appuie sur cette politique d’investissements pour conclure un partenariat avec les autorités centrafricaines. Reçu en audience, le directeur Afrique - Moyen Orient du groupe Orange, Alioune Diagne, assurait le président de la République de la détermination du groupe à procéder à « d’importants investissements avec l’option d’étendre le réseau à d’autres localités du pays »[14]. L’ambition est claire : « Orange entend se positionner comme le partenaire privilégié du gouvernement pour réduire la fracture numérique en Centrafrique »[15].

En janvier 2020, le partenariat d’Orange avec le gouvernement centrafricain se concrétise par leversement de salaires et le paiement de prélèvements obligatoires en ligne qui sont les éléments de la nouvelle stratégie digitale des autorités centrafricaines. L’opération, nommée Patapaye, est testée à petite échelle avec une centaine de fonctionnaires sur l’ensemble du territoire, notamment à Bossangoa, Berberati et Bouar, avec deux objectifs majeurs.

Le premierest de permettre aux fonctionnaires de ces préfectures déconcentrées de percevoir leur salaire en évitant les déplacements vers la capitale ou aux entreprises de faire leurs déclarations d’impôts en ligne. Le second est de faire face aux fraudes, à la corruption et aux détournements d’argent commis par les groupes armés dans les régions qui sont encore sous leur coupe.

Pour cette initiative de G2C, le gouvernement choisit le paiement mobile d’Orange Money en partenariat avec Ecobank. Elle s’inscrit dans la stratégie africaine d’Orange qui joue la carte du partenariat avec les banques – BNP Paribas, Ecobank, Bank of Africa, Microcred. Il s’agit de permettre aux clients détenteurs d'un compte bancaire de transférer leur argent facilement et à tout moment entre leur compte bancaire et leur compte Orange Money (et vice versa) depuis leur mobile.

La solution fonctionne même sans connexion internet dont l’accès reste difficile en Centrafrique. L’innovation soulève l’adhésion immédiate de certains fonctionnaires qui évitent le racket sur le chemin de retour de la banque de la place de la République à Bangui. Cependant, la mise en œuvre s’avère délicate, car le système exige une bonne coordination entre Orange et les comptes bancaires d’Ecobank. Mais les usagers sont insuffisamment informés, les frais de transaction sont trop élevés, le contrôle des identités par le KYC s’avère complexe.

Au-delà des difficultés de mise en œuvre du test, en créant une coopération entre un gouvernement, un opérateur et une banque, le modèle semble vertueux. Pour autant, Patapaye est l’arbre qui cache la forêt. En Afrique ou ailleurs, la stratégie des opérateurs de téléphonie n’est ni coopérative ni vertueuse, elle est simplement marchande. En 2017, évoquant l’évolution africaine d’Orange Money, sonPDG Stéphane Richard déclarait : « dans les années qui viennent, Orange doit accomplir une mutation pour devenir une banque de plein exercice »[16]. La même année, Orange créait sept établissements de monnaie électronique en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, au Sénégal, en République Démocratique du Congo, au Burkina Faso et en Sierra Leone. Ils émettent, distribuent et gèrent la monnaie électronique en lieu et place de la banque partenaire. Cette stratégie apporte de l’autonomie à Orange et la possibilité de lancer de nouveaux services qui viennent concurrencer les banques.

En Centrafrique, la digitalisation de la finance privée ou publique n’en est qu’à ses débuts. Patapaye est une illustration de la vague Fintech[17]définie par « des milliards de dollars investis, la vague de startups et de licornes dans cet espace, le défi qu'ils posent aux banques et aux opérateurs financiers historiques, la façon dont ils conquièrent de nouveaux espaces et lieux »[18]. Cette vague entraîne de nombreux remous. « RegTech pour les technologies de réglementations. WealthTech pour les technologies de gestion du patrimoine. Insurtech pour les technologies d’assurance. La Fintech et les prêts, les analyses, l’identité numérique, numérique, la cybersécurité, le financement des PME, l'inclusion financière, les paiements, le Roboadvice, les registres distribués Blockchain, la néobanque et plus encore. Ensuite, il y a aussi des technologies génériques autour du Cloud, de l'Internet des objets, de l'intelligence artificielle, de l'apprentissage automatique, de la biométrie et d'autres qui créent également des thèmes et des impacts FinTech »[19]. Assurément comme tout pays africain, la Centrafrique peut constituer un terrain privilégié de mise en œuvre des Fintech. À condition pourtant de ne pas se laisser submerger de façon désordonnée par la vague et d’en maîtriser les flots successifs.

C’est pourquoi Nabeoko et son partenaire WinstantPay - Leap2Shop ont choisi l’inclusion financière des PME. Le choix n’est pas fait au hasard. Avant d’être une stratégie marchande, il est le fruit d’une analyse de la situation politique et économique de la Centrafrique[20].

Politiquement, le pays a été profondément affecté par trois années de guerre civile (2013-2016) : recul de l’indice de développement humain, chute du PIB par habitant, situation sécuritaire délicate. La reprise de l’activité économique, conditionnée par le rétablissement de la sécurité, est redevenue possible avec l’élection du Président Touadéra et la signature d’accords avec les groupes armés. Cependant, elle reste l’enjeu majeur de l’élection présidentielle programmée le 27 décembre 2020[21].

Économiquement, l’arrivée du Président Touadéra a permis le retour de la croissance et l’atteinte d’un niveau d’activité de l’avant-crise. Mais à partir de 2018 le rythme de croissance s’est ralenti principalement en raison de la chute de la production officielle de diamants toujours sous embargo partiel et les résultats décevants de la filière bois. Un rebond de la production de diamant est espéré avec l’élargissement de la zone verte, peut-être même la levée de l’embargo demandée par la présidence russe du processus de Kimberley. Dans cet entre-deux, l’agriculture est toujours la principale source d’activité économique, représentant plus de la moitié du PIB. L’industrie manufacturière reste le parent pauvre.

Le problème de l’économie centrafricaine est qu’elle reste très dépendante des importations. Outre que cela renforce l’économie parallèle, la baisse des exportations de diamant et de bois maintient la Centrafrique et particulièrement sa capitale Bangui dans une situation de production de biens non échangeables et la difficulté à passer à la production de biens exportables.

En Centrafrique, Bangui est le centre de l’activité économique du pays. Les industries y fabriquent les textiles, les produits alimentaires, la bière, les chaussures et le savon. De l’aéroport de Mpoko partent les exportations de diamant, coton, bois, café et sisal. Ainsi, l’économie urbaine est centrée sur les biens et services échangeables et sur les ressources naturelles, deux secteurs qui, selon la Banque mondiale, tendent à piéger le pays dans une trappe de sous-développement[22]. La production de biens et services consommés localement condamnerait Bangui et le pays à une faible croissance. Le constat est incontestable. La production destinée aux marchés locaux réduit les rendements d’échelle parce que la base des consommateurs est plus petite que celle d’un marché régional ou mondial.

En revanche, les marchés des biens exportables sont la clé du dynamisme du secteur industriel. Dans les pays en développement, la croissance dépend de la hausse des exportations grâce à la production industrielle et aux hautes technologies. Les biens et services produits affrontent la concurrence et accroissent les économies de rendement. Or, en comparant avec d’autres métropoles, la Banque mondiale montre que les villes africaines se bornent effectivement à produire des biens et services non échangeables destinés fréquemment aux marchés locaux.

Les raisons évoquées correspondent précisément au profil économique de la Centrafrique. La première est le développement des ressources naturelles qui peut créer une forte demande de biens et services non échangeables, un phénomène qualifié de « syndrome hollandais ». Le secteur des ressources naturelles prend le pas sur les autres, en particulier sur le secteur manufacturier. Dans un pays qui dépend fortement des exportations de ressources naturelles, la capitale est consommatrice et l’économie urbaine tend à être dominée par les produits et services non échangeables.

La deuxième raison tient au plan de construction et à la configuration spatiale des villes : manque de concentration des structures, dispersion des quartiers, manque de transports en commun et d’infrastructures de connexion. Le touriste de passage à Bangui identifie ces caractéristiques dès son arrivée.

Il existe bien d’autres contraintes à la croissance qui tiennent au contexte macro-économique, à la réglementation commerciale, au manque d’accès aux financements et investissements, à la singularité de la transition démographique en Afrique, à l’absence de gains de productivité agricole. Quoiqu’il en soit, la promotion du secteur manufacturier est essentielle à la croissance à condition de lui permettre d’accéder aux marchés régionaux et mondiaux et d’ouvrir l’économie nationale sur le monde. C’est précisément l’objet de Nabeoko.

Patapaye, Nabeoko ne sont que les premiers clapots de la vague Fintech sur la rive droite de l’Oubangui. Le secteur dispose d’un fort potentiel susceptible de contribuer au développement intégral et durable du pays. Opérateurs de téléphonie, startups, Fintech, établissements financiers participeront à la reconstruction et au développement du pays. Pour sa part, le consortium Winstant Network qui rassemble Trade Solutions Group, WinstantPay, WolrdKYC et Leap2Shop a proposé plusieurs projets à ses partenaires centrafricains : inclusion financière des personnes et des PME ; augmentation de la sécurité des transactions financières avec renforcement du KYC ; vente d’or liquide et physique sur les marchés internationaux ; levée de fonds pour le financement décentralisé de l’agriculture, de la filière hévéa, de la production d’or et de diamant ; bourse centrafricaine des marchés électroniques ; accès instantané aux marchés internationaux des matières premières, des actions et de l’argent du monde entier ; monnaie digitale pour le commerce international avec règlement instantané ; création de token basés sur l’or permettant le commerce international avec les pays ayant adopté ce principe ; stimulation de nouvelles affaires dans les bourses de marchandises en facilitant l’exportation des produits par le paiement instantané ; etc.

Parmi ces projets, Nabeoko n’est qu’une première initiative. Le défi est de taille. Un récent blog évoquait les huit conditions de réussite du e-commerce en Afrique. En Centrafrique comme ailleurs, face aux opérateurs de téléphonie et aux Fintech la concurrence sera peut être rude. Nabeoko jouera sa carte en misant sur le partenariat avec les banques et les autorités centrafricaines. La plateforme ne rêve pas de devenir un Amazon ou AliBaba africain. Elle ne doit jamais oublier que Nabeoko n’est qu’un petit poisson dans la vague Fintech.


[1]Forbes Afrique, 2016, Centrafrique : six secteurs porteurs en 2016, https://forbesafrique.com/centrafrique-six-secteurs-porteurs-en-2016/
[2]According to Forbes, the growth economic sectors in the Central African Republic are beef, cement, solar panels, mobile banking, oil and soap.
[3]Financial Afrik, 2019, Centrafrique : Orange poursuivra ses investissements, https://www.financialafrik.com/2019/02/03/centrafrique-orange-poursuivra-ses-investissements/
[4]Ibid.
[5]Jeune Afrique, 2017, Stéphane Richard, « Dans les deux ans, nous aurons une banque en Afrique », https://www.jeuneafrique.com/mag/494177/economie/stephane-richard-dans-les-deux-ans-nous-aurons-une-banque-en-afrique/
[6]Skinner, C., 2017, The Fintech Wave, Part One, https://thefinanser.com/2017/02/fintech-wave-part-one.html/
[7]Ibid.
[8]Ibid.
[9]Direction générale du Trésor, 2020, Indicateurs et conjoncture, https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/CF/indicateurs-et-conjoncture
[10]In September 2020, the opposition and civil society assured that the National Elections Authority could not organize the presidential and legislative elections scheduled for December 27 and recommended a postponement.
[11]World Bank Group, 2017, Ouvrir les banques africaines au monde, https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/25896/211044ovFR.pdf?sequence=13
[12]Forbes Afrique, 2016, Centrafrique : six secteurs porteurs en 2016, https://forbesafrique.com/centrafrique-six-secteurs-porteurs-en-2016/
[13]Selon Forbes les secteurs économiques porteurs en République centrafricaine sont la viande bovine, la cimenterie, les panneaux solaires, le mobile banking, l’huilerie et la savonnerie
[14]Financial Afrik, 2019, Centrafrique : Orange poursuivra ses investissements, https://www.financialafrik.com/2019/02/03/centrafrique-orange-poursuivra-ses-investissements/
[15]Ibid.
[16]Jeune Afrique, 2017, Stéphane Richard, « Dans les deux ans, nous aurons une banque en Afrique », https://www.jeuneafrique.com/mag/494177/economie/stephane-richard-dans-les-deux-ans-nous-aurons-une-banque-en-afrique/
[17]Skinner, C., 2017, The Fintech Wave, Part One, https://thefinanser.com/2017/02/fintech-wave-part-one.html/
[18]Ibid.
[19]Ibid.
[20]Direction générale du Trésor, 2020, Indicateurs et conjoncture, https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/CF/indicateurs-et-conjoncture
[21]En septembre 2020, l’opposition et la société civile ont assuré que l’Autorité nationale des élections ne pourra pas organiser la présidentielle et les législatives prévues le 27 décembre prochain et recommandé un report.
[22]World Bank Group, 2017, Ouvrir les banques africaines au monde, https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/25896/211044ovFR.pdf?sequence=13

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